« Si tu savais le nombre d'années que ça m'a pris

Toi qui démarre et qui m'écoute, prends la patience comme un ami »

(« Intro »)

Des mots soigneusement choisis, un flow découpé, une voix marquée d'une certaine émotion et une parole engagée mais responsable : depuis ses premières apparitions (« Mission Suicide », « Sachons Dire Non II »…), Bakar, 27 ans, originaire de Chartres, fait partie de ceux qui n'ont pas besoin de hausser le ton pour se faire entendre. Car il est de ceux pour qui les morceaux ne se conçoivent pas sans thèmes et pour qui le style n'est rien s'il n'est pas porté par un propos fort.



Bakar connaît également la valeur du temps et de la patience. Malgré plus de dix ans de Rap derrière lui et une complicité artistique de longue date nouée avec le prestigieux duo de producteurs Kilomaître (Diams, Sinik, Tandem….), ce n'est pourtant qu'aujourd'hui que sort son premier album « Rose du Béton ».

Mais ce laps de temps n'a pas été vain, au contraire. Alors que différentes prestations sur scène (notamment en première partie de Sinik sur la tournée 2006) ont contribué à installer son nom dans le paysage musical, son street-album de 2005 « Pour Les Quartiers » l'a imposé comme un sérieux espoir du rap français qui n'hésitait pas, par exemple, à rendre hommage à l'histoire de celui-ci (le hit underground « Classic ») pour mieux lui apposer sa marque. Enfin, le long travail d'écriture et d'enregistrement qui a suivi pour son album a permis à Bakar de donner une densité rare à ses textes, mélanges d'une écriture imagée riche en allégories et d'un ton désenchanté jamais exempt d'espoir.

« Faut avoir de la patience, disent-ils en souriant/Ici, on ne sait pas quoi, mais on attend…. » (« Devant Ma Fenêtre »)

Cette consistance se retrouve de bout en bout dans « Rose du Béton ». Qu'il bouscule les préjugés (« Conscience »), rappelle en toute sobriété le sort des mains d'œuvre immigrées (le poignant « Mémoires d'Immigrés ») ou dénonce une flagrante inégalité des chances (le remix du titre « Des Gens Comme Eux » avec Médine et Sinik), Bakar n'hésite jamais à prendre position, appuyant toujours ses textes sur une réflexion solide. Alors que « Mal Etre » offre une plongée au cœur des colères et rancœurs d'une planète à bout de souffle, le morceau de politique-fiction « L'œil de Verre » fait froid dans le dos par sa vraisemblance. Rappelant que le pire est toujours possible, ce titre fait même office du plus saisissant des appels au vote.

Mis en musique par Tefa, Masta ou encore Wealstarr, l'album bénéficie également de l'apport ponctuel d'invités (Mélissa, Taïro, China) qui viennent enrichir le sens des textes d'une touche de mélodie, telles les scènes de vie de « Pour Les Quartiers », éclaircies par le refrain chanté de J-Mi Sissoko. Quant à Diam's, sa voix vient rythmer « Devant ma Fenêtre », magnifique texte de Bakar fait de petites touches et d'impressions qui se succèdent, dressant un tableau mélancolique de notre époque. Pour autant, loin de tout fatalisme, Bakar a également à cœur de responsabiliser son auditoire. Alors que « Bloc » condamne l'engrenage de la délinquance, « N'incite Pas » avec Kery James, insiste sur la nécessité de donner le bon exemple aux jeunes générations, rappelant que le futur se construit dès maintenant.

Connaître la valeur du temps pour mieux bâtir l'avenir ; c'est justement cette double exigence qui imprègne tout l'album et qui donne à « Rose du Béton » un parfum … d'intemporalité.